Cet automne, des ateliers du Cercle de legs seront offerts pour la première fois en formule d’une journée. Ces ateliers se présentent comme une initiation à la démarche, à travers l’expérimentation de 6 activités. Ils se tiendront à Longueuil, le 20 octobre, et à Québec, le 29 novembre et seront respectivement animés par Diane Doyon et Charlotte Morneau.

C’est en apprenant la tenue de ces ateliers que j’ai eu envie d’écrire un billet pour mieux faire connaître cette approche à laquelle j’ai moi-même été initiée. Trois anciens participants ont généreusement accepté de me parler de leur expérience d’un Cercle de legs: Yvon[i], Danielle et René.

Comme conseillère d’orientation, je m’intéresse à la transition vers la retraite depuis quelques années maintenant. J’ai d’ailleurs choisi d’y consacrer une recherche doctorale! En lisant à ce sujet, je constate comment la transition est influencée par la façon dont sont vécues les dernières années en emploi.

Quand les années précédant le départ à la retraite sont caractérisées par l’épuisement ou la démobilisation et que les travailleurs ont l’impression que leurs compétences sont dévalorisées, l’expérience est forcément plus difficile à vivre.

C’est particulièrement vrai pour les personnes qui ont accordé une grande importance à leur travail – certains parleraient même de mission! – et dont l’identité professionnelle était très forte. Ces personnes se retrouvent souvent en déficit de sens à l’heure des bilans. Or, c’est précisément le stade de l’existence qu’Erikson (1968) caractérisait par le besoin de générativité, c’est à dire le besoin de laisser des traces et de passer aux générations suivantes.

La démarche du Cercle de legs

Préoccupée de ces questions, j’ai donc découvert avec intérêt l’approche du Cercle de legs créée par Diane Doyon et Jacques Limoges. Cette démarche est fondée sur la notion de legs professionnel définie comme ce qu’un travailleur veut, plus ou moins consciemment, laisser après son passage, en tout ou en partie, dans la vie active et productive, si minime que ce soit.

Doyon et Limoges ajoutent : contrairement au legs matériel ou économique qui, tôt ou tard, appauvrit le « légueur », le legs professionnel, ultimement, enrichit ce dernier. Ainsi, il s’avère être son leitmotiv pour se maintenir dynamique et mobilisé (hors de l’épuisement et de l’obsolescence), jusqu’au départ à la retraite et, ainsi, faire que ce troisième tiers de carrière soit porteur de vie.

Concrètement, il s’agit d’une démarche en groupe de 6 à 12 personnes qui sont généralement à quelques années de leur retraite. La formule originale propose 6 rencontres d’une durée de 3 heures chacune. Les activités proposées ont pour objectif de faire un bilan de ses expériences, de réfléchir à son avenir et d’élaborer un plan d’action « porteur de vie » pour la dernière étape de la carrière. Elles misent sur la dynamique du groupe et son potentiel de co-construction. Elles stimulent en alternance le côté analytique et rationnel et le côté plus intuitif et émotif.

Afin de répondre aux besoins de la clientèle, une formule intensive de 3 jours a déjà été proposée. C’est à un tel groupe que j’ai eu la chance de me joindre Paris, en juin 2016, afin de me familiariser avec l’approche. Nous étions alors six participants et j’avais été fascinée de constater comment la démarche permettait à chacun de faire avancer sa réflexion, malgré des différences importantes entre les situations vécues.

L’expérience d’Yvon, policier et cadre supérieur

Yvon, un des trois anciens participants à un Cercle de legs que j’ai interviewés pour la préparation de ce billet, a particulièrement aimé cette approche qui lui a permis de « penser en dehors » de sa manière habituelle de voir les choses.

La participation au Cercle de legs m’a aussi fait comprendre mon désir intense de laisser quelque chose derrière moi

Au moment des ateliers, il occupait un poste de cadre supérieur dans un corps policier et il venait de prendre conscience de l’importance de ralentir et de préparer son départ. Son médecin l’avait averti qu’il cesserait de le soigner s’il n’agissait pas pour prendre soin de lui-même et réduire la pression vécue au travail.

À l’époque, Yvon cumulait les responsabilités, travaillait de longues heures et était joignable en tout temps. « Ma façon de penser habituelle était axée sur la notion de performance », explique-t-il.

Il estime que le Cercle de legs auquel il a participé lui a permis de prendre le recul nécessaire et de mieux voir ses perspectives d’avenir. Même s’il avait 34 ans d’ancienneté comme policier, Yvon avait à peine la mi-cinquantaine et souhaitait continuer à se réaliser professionnellement après sa retraite de cette première carrière. Il ignorait cependant ce qu’il voulait faire ensuite.

« La participation au Cercle de legs m’a aussi fait comprendre mon désir intense de laisser quelque chose derrière moi ». Avant de partir, il avait besoin de « boucler la boucle ». Dans son cas, cela s’est notamment traduit par la recherche et l’accompagnement d’un successeur. Ce rôle de mentor a donné du sens à sa fin de carrière et lui a permis de quitter son emploi « avec sérénité ». Il mentionne qu’il est d’ailleurs resté en contact avec son mentoré.

La réflexion de Danielle, psychologue et professeure d’université

Pour Danielle, les choses se sont vécues un peu différemment. Psychologue et professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM pendant 35 ans, la notion de legs était nouvelle pour elle. Au début de la démarche, elle avait l’impression que cette notion ne s’appliquait pas à sa situation ou au monde de l’enseignement.

Aujourd’hui encore, je continue à me questionner sur ce que j’ai à donner et sur la façon dont je peux continuer à utiliser ce que je suis.

Elle réalise aujourd’hui que la transmission est au cœur de la vocation des enseignants et des intervenants en relations humaines : « j’ai légué toute ma vie », résume-t-elle. « Aujourd’hui encore, je continue à me questionner sur ce que j’ai à donner et sur la façon dont je peux continuer à utiliser ce que je suis ». Pour le moment, Danielle souhaite « aider les plus jeunes à réaliser leur projet ».

De son expérience du Cercle de legs, Danielle retient comment la démarche lui a permis de mieux s’outiller pour réfléchir à son départ à la retraite. Elle raconte aussi un moment fort de cette démarche où elle a fait un « insight » (prise de conscience) important. Elle avait déjà retardé son départ à la retraite d’un an et vivait alors une peine qu’elle arrivait mal à s’expliquer. « En traçant ma trajectoire les yeux fermés, j’ai réalisé que je partais sur un high dans ma carrière ». Ce constat lui a permis de mieux comprendre son sentiment de tristesse, mais aussi de se rassurer : « je me suis dit Danielle, c’est bien de partir sur un high ».

Sa participation à ces ateliers s’inscrivait dans une série d’outils et de formation qu’elle était déjà allée chercher pour préparer une carrière en coaching. La démarche lui a permis de continuer à faire avancer sa réflexion et de « repartir avec une porte ouverte », « plus prête » qu’elle ne l’était avant.

L’histoire de René, conseiller en emploi auprès d’étudiants universitaires

René Beaulieu était conseiller en emploi au SPLA (service de placement) de l’Université Laval lorsqu’il a participé à un Cercle de legs. Il était alors à 5 ou 6 années de sa retraite et a entendu parler des ateliers animés par Charlotte Morneau et Jacques Limoges. Son employeur a accepté de défrayer les coûts des ateliers et lui a permis de s’absenter du travail pour participer aux 6 ateliers.

Il remarque que la question de la transmission a toujours été un thème central dans sa pratique professionnelle ainsi qu’une valeur fondamentale pour lui. Coach de natation et de waterpolo lorsqu’il était plus jeune, il dit avoir toujours eu un intérêt pour le mentorat. C’est donc tout naturellement qu’il a ressenti le besoin de réfléchir à ce qu’il voulait encore transmettre.

Il a réalisé que c’était surtout important pour lui de donner à ceux qui le souhaitaient, en fonction de leurs besoins. Il a ainsi écrit à tous ses collègues, en expliquant sa démarche et en les invitant à communiquer avec lui s’ils étaient intéressés à un certain legs.

Certains collègues avaient alors répondu à son offre et avaient alors envoyé leur demande. René a aussi fait un rappel 6 mois avant son départ. Cette initiative a donné lieu à des legs sous diverses formes plus ou moins informelles. Il a par exemple partage son savoir-faire sur la conception de présentations, puisque c’était l’une de ses forces.

J’ai aussi toujours été très engagé dans mon travail et je voulais rester motivé jusqu’à la fin.

Parallèlement à cela, René avait identifié ce qu’il voulait accomplir personnellement avant de quitter ses fonctions. Il a investi beaucoup d’énergie dans des projets qui lui tenaient à cœur, particulièrement pour la création ou l’amélioration d’outils en ligne.

« J’ai aussi toujours été très engagé dans mon travail et je voulais rester motivé jusqu’à la fin », raconte-t-il. Selon lui, il a été plus productif dans les 5 dernières années de sa carrière de conseiller en emploi que dans les 10 années précédentes. René croit que la démarche Cercle de legs a fortement contribué à ce résultat. Il ajoute que dans l’idéal, toutes les organisations devraient payer pour ce type de démarches qui permet de finir sa carrière en beauté et profite à tout le monde.

Et après la retraite?

Yvon, Danielle et René ont tous vécu une carrière « classique », c’est-à-dire qu’elle s’est principalement déroulée dans une seule organisation. Tous trois professionnels, ils étaient engagés dans leur travail et avaient une identité forte liée au sentiment d’appartenance à leur institution. Leur départ s’est déroulé dans des conditions que je qualifierais d’idéales, puisqu’ils en ont choisi le moment et qu’ils ont pu s’y préparer.

De nombreuses recherches au sujet de la transition vers la retraite démontrent que la préparation ainsi qu’un contexte qui permet de choisir le moment de son départ à la retraite sont parmi les facteurs qui influencent le plus la suite des choses.

Danielle souligne que la préparation facilite l’ouverture et l’exploration des options. Elle rappelle qu’il y aura des surprises et que la réflexion n’est jamais finie. Comme elle l’avait planifié avant son départ de l’université, elle est devenue coach de gestion à sa retraite en 2009. À l’instar de plusieurs professionnels qui quittent leur première carrière, elle s’est préparé une autre carrière. Aujourd’hui, elle commence à penser à une autre étape puisqu’elle a obtenu la certification de superviseur qui lui permet d’agir comme coach de coach.

Yvon et René ont eux aussi choisi d’inscrire leur parcours dans la continuité. Yvon s’est ainsi trouvé un poste de directeur de la sécurité dans une organisation internationale à caractère scientifique. Ralentir, pour lui, voulait dire travailler « seulement 35 à 40 heures » par semaine et occuper un poste avec moins de responsabilités dans une organisation beaucoup plus petite.

Dans cette deuxième carrière, Yvon a pu à la fois utiliser les compétences développées précédemment et continuer à apprendre. « Je travaillais avec des scientifiques dont certains prix Nobel et je voyageais à travers le monde : c’était vraiment très gratifiant et amusant ». Par la suite, il a aussi travaillé comme consultant en sécurité, avant de prendre définitivement sa retraite il y a environ 5 ans.

Il dit que la démarche du Cercle de legs lui a fait prendre conscience de l’importance du mentorat, dont il avait lui-même manqué. Il a ainsi continué à « coacher » les plus jeunes et à s’intéresser au développement de leur potentiel. Aujourd’hui, il fait du bénévolat dans un OBNL et passe du temps avec ses enfants.

Quant à René, il continue une carrière de consultant formateur amorcée avant son départ à la retraite. Il offre des services de formation en employabilité, comme des ateliers en préparation d’entrevue à l’aide du storytelling.

Intéressée par les approches narratives, je lui pose des questions. C’est la fin de l’entrevue et nous dévions spontanément vers l’intervention en développement de carrière. Je souris en pensant que le mentor n’est jamais bien loin.

[i] Yvon est un prénom d’emprunt, puisque le participant préférait ne pas être identifié.